Sarah Orumchi compose des peintures gestuelles dont les lignes fluides évoquent les prémices d’une écriture. Elle travaille essentiellement à l’encre et à l’huile sur papier et sur toile. Les transparences, les couleurs, les strates apportent de la profondeur à ses images construites comme des paysages. La liberté du trait, la sensualité des lignes, la mouvance de l’encre sont contraints et parfois s’échappent d’espaces cadrés orthogonaux pouvant servir de portées : les guides de l’écriture, série de quatre dessins à l’encre sur papier, repose précisément sur un principe de trame qui vient équilibrer la composition.
L’artiste s’intéresse à l’écriture manuscrite comme expression d’un rythme et reflet d’un langage non verbal du corps. Ses tableaux sont le résultat d’un processus mental et sentimental, des œuvres conçues en continuité du corps, comparables à l’externalisation formelle de pensées informelles. Esquisses du monde sensible, série de quatre huiles sur toile, témoigne d’une approche polysémique de l’image : on y retrouve des formes d’écriture combinant l’arabesque, la spirale et des volutes empruntées à la nature, un vocabulaire organique qui traverse également les âmes reposées, série de trois dessins à l’encre. Le fait d’écrire est un geste de soin, un geste qui stimule, décharge, permet de laisser une trace, de révéler la mémoire du corps par l’écriture.
Tout récemment, Sarah Orumchi travaille sur support de lin monté sur châssis : elle expérimente la toile comme un objet matiériste, et le fond de la toile devient une peau capable d’absorber différents liquides, notamment l’encre. Pour cela, elle réalise divers apprêts, dont des gessos transparents légèrement teintés. Vient ensuite un travail de dessin par glacis successifs, faisant remonter le fond à la surface. Son désir : approcher des espaces picturaux de plus en plus amples et profonds, synonymes de nouveaux gestes et de nouveaux outils.
Sarah Orumchi / Éva Prouteau, 2023
Artiste à la double nationalité franco-iranienne, Sarah Orumchi développe une pratique qui se déploie dans différents médiums : elle propose une réflexion sur la fluidité des identités, des langues et des langages, grâce à une démarche méticuleuse autour de l’art et des pratiques de l’estampe et de la typographie. Ayant recours à l’écriture, à la photographie, la peinture, le dessin et les techniques d’impression artisanales, l’artiste développe une pensée de la main, une dynamique du geste et une fabrique du signe en deçà du sens et au-delà du scriptural.
Liées au sensible, à la transparence et à l’abstraction, les œuvres de Sarah Orumchi, qui parfois s’originent dans son attachement à l’Iran, explorent une expressivité organique, dans la mise en scène de soi ou dans la calligraphie et l’expérimentation pseudographique. Le foulard, dans son potentiel de texture, de pli et de support, symbolisant d’une certaine façon son rapport à la culture persane, devient tour à tour un accessoire de féminité, de contrainte et d’un jeu entre apparition et disparition. Cette dialectique se poursuit dans la recherche calligraphique et typographique de la plasticienne qui élabore des compositions qui mêlent alphabets réels et lettres imaginées et qui étirent la ligne d’écriture jusqu’à sa libération vers un geste plus vital.
Penser les identités et les subjectivités multiples se traduit alors par l’accueil d’autres personnes dans l’élaboration de ses œuvres, par des formes collaboratives : l’œuvre s’appréhende dès lors comme une quête, une rencontre et une collecte.
Anysia Troin-Guis,
Texte écrit pour l’exposition Le Clou à l’Atelier, 2022